Interview M. SENECAL

 

Nom du conférencier : Pierre Senécal

Profession :D.Ps.,psychologue clinicien

  • Expertise en trouble grave du comportement en Déficience Intellectuelle (DI) et Trouble du Spectre Autistique (TSA)
  • TCC DI et des neurotypiques
  • Supervision professionnelle des psychologues

Thème de la conférence :

Un programme sur la pleine conscience (Mindfulness) adapté aux personnes ayant une déficience intellectuelle ou un Trouble du spectre autistique.

  • Présentez-vous (parcours, pratique des TCC, ouvrage notable)

Pour bien comprendre mon parcours, je vous présente sommairement les événements dans lesquels je m’inscrivais au cours des différentes décennies jusqu’à ce jour.

Début de ma pratique à la fin des années 70’. Période marquée par la désinstitutionnalisation des personnes ayant une déficience intellectuelle. Les principes de normalisation (BengtNirje, Danemark) et de valorisation des rôles sociaux (Wolf Wolfensberger, É.-U.) sont les guides à suivre. L’intégration de ces personnes dans la communauté exigeait que l’on développe des programmes d’apprentissage variés (ex. : cuisiner des repas simples, circuler à pied dans la ville et utiliser les transports en commun). Cette période est marquée par une approche exclusivement comportementale (Azrin, Popovtich, Labbé et Marchand). De plus, les premières cohortes (DI plus facile à intégrer, car moins de réticence de la population à accepter, voire tolérer ces personnes différentes) manifestaient peu de problèmes de comportements et de troubles de santé mentale (ex. : Joseph Wolpe définit l’inhibition réciproque, la désensibilisation systématique pour le traitement de l’anxiété).

La fin des années 80’ et le début de 90’ sont marqués par des tentatives, pas toujours fructueuses, d’intégration dans la communauté des personnes ayant une déficience intellectuelle et manifestant des troubles du comportement chroniques. Certains auteurs, tels queGriffiths, Ryan, Bruininks, Schalock et Matson, démontrent que bon nombre de ces personnes manifestent des troubles de santé mentale. C’est l’époque des approches cognitives (Ellis, Beck) pour traiter les problèmes des troubles de l’humeur et de l’anxiété (ex. : la restructuration cognitive, la gestion des émotions). Quelques psychiatres prescrivent une médication plus ciblée pour traiter la dépression, les TOC, etc. Ayant un accès limité aux cognitions des personnes ayant une déficience (difficultés de communication et d’abstraction), le travail du psychologue exigeait le développement de matériel adapté en bimodalité de présentation (auditif verbal et visuel), contextualiser les séances de thérapie au milieu naturel de la personne.

La fin des années 90’ et le début de 2000’ sont marqués par une approche multimodale des troubles du comportement. Nous établissons les distinctions entre trouble du comportement (TC) et troubles graves du comportement TGC. Les causes des troubles du comportement sont liées à l’apprentissage (ex. : renforcement négatif dans les cas d’évitement), les caractéristiques psychologiques (ex. : problématique d’attachement, méfiance, humeur labile, etc.), les troubles de santé physique (ex. : douleurs chroniques liées au SPM), les troubles desanté mentale (ex. : Trouble bipolaire) et les troubles neurologiques (ex. : TDA/H).Apparait en 2007 le Diagnostic Manual-IntellectualDisability (DM-ID) de Rober Fletcher etcollab., qui est une adaptation du DSM-IV.Dès lors, il est possible de mieux diagnostiquer les troubles de santé mentale chez les personnes ayant une déficience intellectuelle.Mais les outils d’évaluation psychopathologiques demeurent peu nombreux. Quelques psychologues pratiquent la thérapie comportementale dialectique de Linehan pour traiter le Trouble de personnalité limite, les risques suicidaires, etc. Il est de même pour l’ensemble des thérapies adaptées pour les personnes ayant un DI (Desnoyers-Hurley, Barlow, Gedye, etc.) portant sur les troubles anxieux et les troubles de l’humeur (l’exposition in vivo et en imagination, restructuration cognitive, résolution de problèmes, généralisation, prévention de la rechute, etc.).

Avec le début des années 2010, arrive la troisième vague de la TCC pour les personnes ayant une DI ou un TSA. Robert J. Fletcher publie alors« Psychotherapy for individuals with Intellectual Disablility ».À cette époque, dans le réseau public au Québec, quelques psychologues défendent le droit à la psychothérapie pour les personnes ayant une DI ou un TSA. Il y a de la résistance de la part des gestionnaires à ce que les psychologues s’écartent de leur rôle d’évaluation diagnostiqueet de conseillers psychologiques à des tiers (éducateurs spécialisés, autres professionnels, famille, etc.). De modestes ouvertures étant acceptées dans le réseau public, plusieurs adaptations sont instaurées pour faciliter l’adhésion des personnes aux TCC.

  • Qu’est-ce qui vous a conduit à travailler sur ce sujet (dans votre pratique, vos recherches…)?

Dans les thérapies auprès des personnes ayant une DI et un TSA, il est souvent observé des limites aux adaptations cognitives et comportementales lorsque la personne est en état de crise dans son milieu naturel (anxiété exacerbée). Ces personnes expérimentent souvent des échecs dans la tentative d’autorégulations de leurs émotions. Nous observons que ces personnes ont appris à identifier et à modifier leurs pensées et leurs comportements mésadaptés. Mais elles n’intègrent pas ces apprentissages à ce qu’ils ressentent dans les situations anxiogènes.

  • Présenter l’idée centrale de votre intervention (le point clé/le concept fort/la thèse originale)

La pleine conscience (ou présence attentive)se veut une approche « intégrative » en proposant aux personnes ayant une DI ou un TSA d’accepter de ressentir, voire apprivoiser, sans jugement leurs sensations physiques agréables et désagréables qui se manifestent à l’intérieur d’elles. Il en est de même pour l’observation bienveillante des émotions, des pensées, des images (perception et interprétation) produites par notre cerveau. Au lieu de chercher à tout prix à tout contrôler dans sa vie, il est plutôt proposé d’accepter avec bienveillance pour soi-même « ce qui est ». C’est dans cette perspective que nous avons monté à partir du programme MBSR le programme sur la pleine conscience (Mindfulness)adapté aux personnes ayant une déficience intellectuelle ou un Trouble du spectre autistique.

  • Qu’apportera votre communication aux praticiens dans leur compréhension du problème / l’évolution de leur pratique ?

L’accompagnement des personnes ayant une DI ou un TSA nous apprend que de comprendre son problème d’anxiété (cognitions et comportements) et que de trouver des solutions pour tenter de s’en libérer, dans plusieurs cas, ne suffisent pas. Il est nécessaire d’apprivoiser ce que l’on ressent (sensations physiques et émotions) pour s’en détacher et de retrouver un bien-être. Bon nombre de personnes ayant une DI ou un TSA manifestent des troubles anxieux. L’évaluation fonctionnelle effectuée auprès des personnes ayant des troubles graves du comportement nous montre qu’elles cherchent désespérément à se soustraire de ce qu’elles ressentent par des comportements d’évitement ou de confrontation. Les recherches portant sur ce groupe particulier de la population montrent que la pratique de la pleine conscience diminue de façon significative leurs symptômes d’anxiété et dans bien des cas leurs comportements violents (Bazzano, Alicia, Wolf, Christiane, Zylowska, Lidia, Wang, Steven, Schuster, Erica, Barrett, Christopher, Lehrer, Danise, 2013).

5) Si vous n’aviez qu’un mot pour encourager le public à venir aux JRTCC 2017 de Dijon, quel serait ce mot?

La connaissance est une nourriture pour notre civilisation. Elle est nécessaire au progrès social. Le partage en est le véhicule !